Pulsion de vie, pulsion de paix
Le monde occidental se veut, plus que jamais, démocratique. Mais quand tout un pan du monde cherche à se convaincre, se convainc et se félicite, se félicite et se congratule, d’être bon, du bon côté, d’être juste, dans le juste, d’être démocratique enfin, sans doute, sans aucun doute, absolument, alors la démocratie, en réalité, a fort à craindre. Car la démocratie se nourrit de débats et non de convictions.
Aujourd’hui, les « bons », c’est nous : nous les européens, nous les Américains, nous l’OTAN, parce que nous, nous défendons la démocratie et la liberté et la justice – et accessoirement, pour ce faire nous vendons des armes, nous les donnons même parfois, gracieusement, ces armes. Évidemment, c’est pour défendre la démocratie, pas pour tuer, foi de démocrates.
Les « méchants » ? Ce sont les autres. Ceux de l’autre côté. Mais bientôt, ce seront aussi ceux qui pensent autrement et qui ne prennent pas – ou, aux yeux de certains, pas assez – parti pour « la défense de la démocratie ».
La Suisse, par exemple ?
En effet : la Suisse tient à sa neutralité. Notre Président, Alain Berset, s’inquiète d’ailleurs de ce qu’il a désigné d’abord comme une « frénésie guerrière », avant de se rétracter, à tout le moins sur les mots utilisés. Et pourtant. Le Professeur Pandeleimon Giannakopoulos, éminent psychiatre genevois souvent interrogé sur l’évolution des psychologies actuelles face aux évolutions politiques, rend compte, lui aussi, de cette position « guerrière » : « L’observation des 40 dernières années démontre que la liberté et les pulsions de vie ont perdu la partie face au contrôle et aux pulsions de mort. »
Dans La nuit sentimentale (L’Harmattan, 2022), Alexandre Castant décrit la réalité du terrain : « Cadavre dont la tête prise dans un casque, est séparée du corps… cadavre dont la jambe, prise dans une botte, est séparée du corps… scènes de défécation dans les casques ennemis… Destruction des paysages, des animaux, de l’horizon… destruction de l’idée même d’horizon ». Certes, Castant parle de la Grande Guerre mais ses descriptions rejoignent étrangement celles que relate par exemple Timur Dzhafarovde, un jeune musicien ukrainien engagé dès le lendemain de l’invasion russe en Ukraine, dans son carnet de bord (publié par Libération).
Encore une fois, c’est la guerre elle-même qui est un crime, un crime contre l’humanité, un crime de déshumanisation. Les bons comme les méchants semblent vouloir oublier cette réalité. Mais la guerre n’est pas un jeu d’échec que l’on puisse observer sereinement de loin. La construction volontariste d’une « bonté démocratique » d’un côté des tranchées ne tient pas face à la réalité du terrain, qui est cauchemardesque. Sur le terrain, l’échec et mat est définitif et bilatéral.
Alors, nous qui avons la chance insigne d’être neutres, appelons-en encore à la pulsion de vie et à la paix. Toujours selon Alain Berset, la question centrale doit être : « Que pouvons-nous faire pour protéger la population civile en Ukraine ? » (et peut-être même en Russie aimerais-je ajouter). Nous pouvons, même si c’est bien mince face à l’OTAN, refuser d’envoyer des armes en Ukraine – fut-ce indirectement. Et essayer encore de faire engager l’indispensable processus de paix (au risque assumé de se faire taxer de « complotistes »). À commencer par un cesser le feu et des négociations de paix – avec la Russie ? Avec le Président Vladimir Poutine ? Avec « le diable » ? (selon le titre du récent ouvrage de l’humanitaire Pierre Hazan, Négocier avec le diable. La médiation dans les conflits armés, Textuel, 2022).
Une paix sans justice est-elle possible, me rétorquera-t-on ? Elle me semble dans tous les cas préférable à la guerre – une opinion que je souhaiterais, à tout le moins, voir davantage débattue. Démocratiquement débattue.
Je vous souhaite à toutes et à tous de joyeuses fêtes de Pâques, dans la paix.
Pâques ? pulsion de vie, après Daniel Marguerat.
Merci Barbara. Joyeuse pâques . Chassons toujours le chocolat sans doute en œufs ou en poubelles (Genevois comprendrons)..mais surtout les rêves , les beaux arts , la poésie, le théâtre , les arts en général , la bienveillance et les amitiés