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Nancy Huston agace ou passionne: et si le corps des femmes créait leur identité

août 19, 2012

La brillante et très sensible écrivaine Nancy Huston écrit un livre comme elle : intelligent et sensible et merveilleusement libellé – et comme elle, à rebours de la pensée du temps.
Est-ce le livre alors et ses contenus ou la très belle Nancy Huston elle-même qui soulève à la fois l’ire et la passion? La passion ? Son livre se vend – et on l’espère se lit – comme un vrai best seller. L’ire alors ? Que de critiques pour dire que Nancy Huston parle de choses dont on ne voudrait pas qu’elles soient – pas ainsi, pas aujourd’hui, pas ici. Que de colères elles soulève en nous disant la puissance absolue du corps féminin, nos propres ambivalences, historiques et actuelles, face à ce corps et ses “reflets dans un œil d’homme”. C’est beau d’être regardée. C’est beau de se laisser regarder. Cela peut être terrible d’être dévorée du regard – encore que. C’est certainement terrible de nous laisser réduire à ce seul reflet, ce seul regard.

Le désir de la nudité

Mais au-delà de ce regard d’homme, il y a la joie d’être deux. Nancy Huston le dit avec l’élégance qui est la sienne : “parfois le désir qu’ont les femmes de se montrer nues est aussi simple et spontané, aussi joyeux et évident, aussi excitant que celui qu’ont les hommes de les regarder”. Oui… Et quand cela arrive, parfois cela s’appelle amour, ou encore “amitié, solidarité, complicité,” quand face à face nous recherchons dans les yeux de l’autre ce reflet de nous même enrichi – et non appauvri – par ce regard autre.

Darwin injustement critiqué

Nancy Huston ne nous apporte dans son livre que très peu de recettes, peu d’études – mais essentiellement un immense constat à tort oublié : notre corps de femme crée notre identité de femmes. Dans une interview récente, elle se réfère à Darwin avec, encore une fois, la plus grande intelligence. En effet, la plupart des critiques adressées à Darwin sont absurdes. On ne peut nier l’adaptation. Mais ces critiques pour la plupart oublient que Darwin soulignait bien qu’être humain et “social” signifiait justement aller à l’encontre de la réalité du mieux adapté. On ne peut nier les différences entre les hommes et les femmes et Nancy Huston nous le rappelle fort à propos – mais cela ne signifie nullement que l’on doive se soumettre ni aux lois “naturelles” ni aux règles sociales qui déterminent ces différences. L’auteure conclut d’ailleurs avec espoir : “si nous cessons d’opprimer et de brimer nos petits garçons, si nous n’obligeons pas tout le temps les hommes à être forts… les rapports sexuels peuvent se modifier en profondeur.” Il est piquant de constater combien la phrase de conclusion “plus il y aura de mères sexy et séduisantes, moins il y aura de filles violées et prostituées” fait monter les analystes aux barricades alors que bien peu citent la phrase suivante : “plus les pères participeront aux soins des enfants en bas âge, moins il y aura de machisme.”

Pourquoi contraindre les hommes

L’amour, la beauté, la réalité du corps… Nancy Huston, dans ses dialogues avec les artistes peintres, nous apporte aussi une formidable idée pour une meilleure appréhension du corps des filles par les jeunes gens d’aujourd’hui : le dessin académique. Apprendre à regarder un corps, le com-prendre dans son ensemble, dans sa puissance et son intimité, dans sa richesse infinie, comme un paysage, comme une géographie sensible, voilà qui écarte et corrige le regard violent pour le remplacer par un regard admiratif et dans le questionnement de soi : serai-je capable de rendre par mon acte créatif la beauté et le mystère de ce corps ? Une magnifique idée que d’introduire à l’école des cours d’académie ! Nancy Huston a sans aucun doute bien d’autres idées à nous suggérer. Mais ce livre-ci ne se veut pas prescripteur : il fait un constat et nous laisse y réfléchir. Autre raison de le critiquer ? Réfléchissons plutôt ! Réfléchissons, entre autres, les hommes dans notre propre regard. Il s’y cherchent mais ne s’y retrouvent que trop peu souvent. Si nous n’obligions pas tout le temps les hommes à… à ceci, à cela – oui le monde pourrait bien se modifier en profondeur.

Alors occupons-nous d’exister, soyons “Tout à fait femme” (si j’ose…) et travaillons sur la profondeur, justement, de nos liens à l’autre, cet inconnu, ce bien aimé quel qu’il ou elle soit et qui cherche à se refléter dans nos yeux – certes sans oublier la réalité : cet incroyable attrait que le corps des jeunes femmes a sur l’humanité entière. Ne baissons pas les yeux ! Jamais. Et comme disait Victor Hugo, “sauvons la liberté” Notre liberté d’exister telles que nous sommes et telles que nous nous voulons. “La liberté sauve le reste”.

Publié dans Les Quotidiennes le 14 août 2012

One Comment leave one →
  1. août 23, 2012 12:04

    Merci beaucoup Barbara pour ton magnifique compte-rendu ! Il m’a fortement donné envie de lire ce livre. Ce que je ferai prochainement. Bien cordialement. Francis

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