Le cercle des poètes apparu.e.s
La nuit de l’Equinoxe, la Fondation Thalie devait accueillir ma 9ème Nuit de la Poésie. Coronavirus, confinement, la Nuit est remise à d’autres solstices. Mais qu’à cela ne tienne : Nathalie Guiot, poète elle aussi, décide qu’on n’allait pas se laisser dépoétiser pour si peu. Et depuis lors, tous les jeudis soir, elle organise, avec son équipe et le concours de Pascale Barret, des soirées poétiques sur Zoom. Nous lisons nos textes, ceux de poètes, d’écrivains que nous aimons, nous écoutons les autres, nous faisons connaissance, nous applaudissons, nous consolons celles et ceux qui sont malades, nous devenons un groupe. Rien de plus beau qu’un groupe de poètes. Nous sommes Le cercle des poètes apparu.e.s. J’avais écrit un « haiku » pour nous, avant même que nous n’existions, au printemps dernier…
Le cercle des poètes apparues
Le pic vers au bord de la rivière
Aube de printemps
Et non contente d’organiser ces soirées, Nathalie Guiot envisage de publier nos textes, plus tard. En attendant, le Pan poétique des Muses publie d’ores et déjà les textes qui m’ont été confiés par les poètes du cercle. Dont Nathalie Guiot elle-même, car La vie est comme le sable…
L’Equinoxe c’est désormais tous les jeudis, ici.
Et à retrouver sur le Pan poétique des Muses.
La pandémie sur L’Intervalle
L’excellent Fabien Ribery a décidé d’ouvrir son blog à ses amis. Il écrit : « Pour y voir clair, pour ne pas être seuls à réfléchir, pour être ensemble, et pour ne surtout pas en rajouter dans les commentaires oiseux, j’ai proposé à quelques amis de choix d’intervenir dans L’Intervalle à propos de la pandémie virale que nous vivons actuellement, et des mesures exceptionnelles que nous supportons quant aux privations de nos libertés individuelles. Je publierai donc, au fur et à mesure de leur arrivée, peut-être, ces textes que j’imagine comme des contrepoisons, ou des clairières autorisant encore l’indemne. »
Honneur que de faire partie des amis de Ribery.
Alors, j’ai écrit, pour Fabien. Le corps confiné.
De combien de corps mon corps a-t-il besoin ? De combien d’espace ? Dans la bicoque où mon corps est confiné j’ai mille et un livres, mille et une nuits, mille et un cours d’eau, mille et une chansons je peux réfléchir à perte de nuit, penser à perte de sens, créer à perte de mots… mon corps a un matelas, une chaise, une table haute pour écrire debout, un tapis pour s’étendre, une baignoire pour flotter. Je n’ai pas peur d’être seule, j’ai toujours aimé être seule, avec mes rêves, être seule pour rêver sans que la réalité de l’autre ne déséquilibre l’esthétique fragile de mon monde intérieur, me regarder dans le miroir jusqu’à ce que je me plaise sans l’interférence du regard de l’autre. Mais je lis dans les livres de philosophie, de psychologie, de morale, que l’humain se réalise dans le contact avec l’Autre. Le monde entier entonne le couplet de l’autre. « Si je dois vivre une vie bonne, ce sera une vie bonne vécue avec les autres, une vie qui ne serait pas une vie sans ces autres. » Ainsi écrit même la grande Judith Butler. Ce doit être vrai alors… Et pourtant. Ô merveille que la solitude de ma baignoire. Je n’avais pas de jumeau, dans l’utérus de ma mère. Certes, j’aime l’autre, les autres, tous les autres, ceux là-bas, dans la ville, de l’autre côté de la ville, de l’autre côté de l’autoroute, dans leurs maisons, ils sont loin des yeux loin du cœur je les aime mais je préfère ne pas les voir ni les entendre ils disent toujours les mêmes choses ils disent tous la même chose ils répètent les mêmes mots… De quel espace mental mon corps a-t-il besoin ? Autrefois, il y a très longtemps, il y avait dans les villes, les villages, le long des routes, ce qu’on appelait des cafés. Des espaces partagés où je pouvais aller, et dans un coin du « café », voir sans regarder, entendre sans écouter, aimer sans engager. Le café, espace mental sans limite. Avec tous ces corps, à admirer, à sentir. Cette chaleur de corps. Ces voix de corps. Ces bruits de corps. Ces pensées, de corps. {…}
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![Jhafis Quintero_Hommage à Papillon_2019](https://barbarapolla.wordpress.com/wp-content/uploads/2020/04/jhafis-quintero_hommage-c3a0-papillon_2019-1.jpg?w=600)
Jhafis Quintero, Hommage à Papillon, 2019
Longtemps, la maladie n’a pas eu de nom
Longtemps, la maladie n’a pas eu de nom. Au début, elle était confinée à Skid Row. On voyait parfois des boiteux, d’abord quelques-uns, puis de plus en plus nombreux. Mais aujourd’hui, elle s’étend de plus en plus, dans tout le sud de Los Angeles, elle est omniprésente dans les quartiers de Crompton et de Watts. La pacification des rues par l’isolement définitif a échoué. Tout le monde le sait, mais personne n’en parle. Elle gagne chaque jour du terrain, la perte de substance est presque immédiate. Les orteils d’abord, puis la plante du pied, le talon, l’astragale… les boiteux ne peuvent même plus marcher. Il semble bien que cet étrange syndrome n’atteigne pas les femmes. Il se propagerait par transmission sexuelle – de quelque sexe qu’il s’agisse – mais aussi par tout autre contact muqueux.
Sous la jetée de Santa Monica, qui sépare les deux côtés de la plage, entre Pacific Park et l’Ash Grove Night Club, entre les immenses pieux noirs et gluants qui soutiennent la jetée, des êtres inquiétants s’incrustent dans le sable, dans l’humidité à peine éclairée par quelques taches de lumière qui percent la jetée. Ils ont tous leurs pieds amputés. La maladie ne semble toucher que les hommes de couleur. Mais ce n’est pas certain. N’embrassez pas un homme qui boite, ne buvez pas dans son verre, ne cherchez pas à regarder derrière le rideau de chair. On raconte que la jetée de Santa Monica est devenu un laboratoire expérimental, comme Skid Row. On parle de la radioactivité, du tremblement de terre, de la comète, des hispaniques. Mais personne ne parle des animaux.
Et pourtant, certaines souris – ou peut-être des rats – transgéniques probablement – nous grignotent la plante des pieds lorsque nous n’y prêtons pas garde, ils sont sous nos lits, sous les tapis des hôtels, sous la terre, partout. Sur la plage, de l’autre côté. Mais on n’en parle pas. Il faudrait probablement les disséquer soigneusement, et rechercher le micro-organisme élusif qui semble causer la maladie – car au mieux de nos connaissances, les maladies transmissibles le sont par l’intermédiaire du vivant, par l’intermédiaire d’un autre vivant. Et d’ailleurs, souris et femmes, nous partageons le même organe voméronasal, subtil organe de l’olfaction, élicitant un éventail de comportements innés, stéréotypés, reproducteurs, sociaux… peut-être ce que je perçois, lorsque je marche au-dessus des bouches d’égout ?
Tous les jours désormais, les radios locales en appellent à de nouvelles vocations féminines. L’UCLA a d’ailleurs ouvert une nouvelle chaire, prétendument d’anatomie comparée et réparatrice des membres inférieurs, exclusivement réservée aux femmes. Et l’on peut lire parfois d’étranges annonces dans le Los Angeles Times, appelant en particulier les habitants hispaniques de Crompton et de Watts à remettre tout rongeur suspect aux autorités aéroportuaires qui sont désormais elles aussi exclusivement féminines. Et seules les femmes cherchent la cause et les traitements, en silence, jour et nuit, dans les cliniques discrètes, de plus en plus nombreuses, le long de Sepulveda Boulevard. Il ne faut pas prendre de risque. Et l’on raconte que dans certaines cliniques, les plafonds des salles de soins sont en verre, pour que les visiteurs proches puissent assister aux recherches. Eyes do more then see. On raconte aussi que pour arrêter la gangrène, il faut suspendre les malades de façon à ce que leurs membres inférieurs ne touchent rien, jamais… mais ce ne sont probablement que des choses que l’on raconte. Sous le manteau seulement, car publiquement, on n’en parle pas. Les satellites se taisent, les relais habituels sont muets, même la toile est imperméables aux informations, et l’Europe lointaine encore plongée dans l’obscurité et dans l’ignorance. Aucun vol n’a été annulé, les navires spatiaux et maritimes poursuivent leurs routes, les rongeurs dansent dans les cales et la bleure avance, tout doucement.
Extrait de Etreinte, Barbara Polla, Editions de l’Aire, 2003.
A quoi sert le coronavirus?
Dans Le Temps de ce jour
OPINION. Voici que, grâce au coronavirus, les gouvernements peuvent enfin, de nouveau, promouvoir les valeurs essentielles qui sont bel et bien les leurs, écrit l’écrivaine Barbara Polla
![file79qrkvspvgx16bxit7qr](https://barbarapolla.wordpress.com/wp-content/uploads/2020/03/file79qrkvspvgx16bxit7qr.jpg?w=600)
Vieille ville de Lucerne. 17 mars 2020.
A quoi, à qui sert le coronavirus? Il doit bien servir à quelqu’un, à quelque chose: si ce n’était pas le cas, il ne serait pas si viral. Bien sûr, je suis médecin, et j’ai bien compris que ce virus, qui circule désormais partout, infecte des êtres humains, qu’il se transmet avec une grande contagiosité, qu’il peut causer une affection pulmonaire grave voire la mort, en particulier des personnes fragiles. Tout cela est indubitable. D’ailleurs, je suis doublement à risque: j’ai plus de 65 ans et je souffre d’asthme exacerbé en ce moment en raison des pollens. Le printemps, lui, n’a pas fermé ses portes.
Mais revenons à l’utilité du coronavirus et de la pandémie. Son utilité pour les gouvernements, d’abord. C’est volontairement que je parle ici «des gouvernements», sans détailler, puisqu’il semble bien que chacun cherche à imiter l’autre, voire à faire mieux. Depuis longtemps, bien des gouvernements ont abandonné l’illusion qu’ils «gouvernent», qu’ils décident, qu’ils maîtrisent, qu’ils contrôlent. Ils ne maîtrisent ni l’avenir écologique de notre Terre, ni les grands désastres humanitaires, ni la nécessaire redistribution des richesses. Le plus souvent, les gouvernements sont dirigés, en réalité, par les grands de l’économie, de la finance, de l’industrie, de celle de l’armement notamment. Ils ne sont même plus prescripteurs de la culture de leurs pays respectifs, désormais dirigée par l’industrie du divertissement. Ils subissent.
Et voici que, grâce au coronavirus, les gouvernements peuvent enfin, de nouveau, en étant écoutés et entendus (la peur ouvre les oreilles des plus récalcitrants), promouvoir les valeurs essentielles qui sont bel et bien les leurs, pour la plupart: les valeurs de solidarité, de sécurité, de santé et de care de, et avec, leurs concitoyens. Prendre soin de soi pour prendre soin des autres. Se serrer les coudes pour lutter contre l’ennemi invisible. Les gouvernements enfin vertueux se présentent en gardiens du bien. Cette promotion du bien collectif est particulièrement sensible dans les hôpitaux. Nous apprécions tous à leur juste valeur des décisions ici pleines de bon sens: toutes les forces de soin sont recrutées, sur un pied d’alerte. Nous serons soignés, du mieux qu’il est possible, si nous tombons malades.
« Si le ralentissement économique améliore bel et bien l’état de la planète, il est d’autres moyens d’y parvenir que la fermeture »
Le coronavirus offre donc aux gouvernements en mal de gouvernance une formidable opportunité de redorer leur blason. Les gouvernements reprennent la main. Ils reprennent le contrôle. Ils dictent des mesures. Ils affirment la nécessité de fermeture. Personne ne pipe mot. Et c’est à qui fermera le plus, fermera le mieux. Et dans le même geste d’affirmation, ils mettent à genoux des pans entiers de l’économie. L’argent pensait diriger le monde? Eh bien non, voyez-vous, c’est nous, les gouvernements. Quelle belle revanche. Certes.
Et pour les citoyens, alors, quelle est «l’utilité» de cette situation? J’en vois deux, à tout le moins. La première, c’est que les citoyens électeurs aiment à penser que les gouvernements qu’ils élisent sont compétents, engagés et savent diriger leur pays en fonction de valeurs partagées. Un exemple: en Italie, Giuseppe Conte augmente graduellement, jour après jour, les mesures de fermeture; sa popularité semble bien augmenter en parallèle. La seconde, c’est que ceux qui sont pour la fermeture (et il en est quelques-uns tout de même) ont désormais toute justification à fermer, les portes, les fenêtres, les frontières. On ferme tout. On se calfeutre, on se tient à distance, on se protège. On reste entre nous. C’est bien. On fait ce que les gouvernements recommandent par haut-parleur dans les halls de gare. On l’avait toujours dit, que c’était préférable de fermer. On a raison.
Mais dans quelque temps, je prédis que tout le monde va se rendre compte que cela n’est pas tenable. Ni la fermeture, ni la mort de l’économie. Pour quand, le réveil citoyen? Notamment de tous ces citoyens qui travaillent au quotidien à améliorer le monde, chacun selon ses convictions, écologiques, humanitaires, culturelles? J’espère qu’il est pour bientôt. Et que nous allons savoir éviter à la fois le rêve absurde parfois que les gouvernements nous font vivre, et le cauchemar d’un tissu économique durablement détruit. Avec comme leçon de réalité que si le ralentissement économique améliore bel et bien l’état de la planète, il est d’autres moyens d’y parvenir que la fermeture. Comme l’écrit à propos du coronavirus la psychanalyste Monique Lauret, qui connaît bien la Chine, «Dans le ren confucéen (la bienveillance du confucianisme), l’homme ne devient humain que dans la relation avec autrui» et elle évoque, pour l’Occident, «la possibilité de remise en cause d’une mondialisation de la démesure basée sur l’avidité, au mépris des conditions éthiques du contrat social entre les êtres humains». Si le coronavirus contribuait à cette remise en cause, alors oui, il serait fort utile.
*Barbara Polla, médecin, écrivain
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WHENEVER AN ANGEL
Ce matin je me réveille à la Fondation Thalie. Un lieu de rêve, un arbre par la fenêtre, et un ange — un ange de Robert Montgomery : WHENEVER YOU SEE THE SUN REFLECTED IN THE WINDOW OF A BUILDING IT IS AN ANGEL… c’est mon anniversaire et mes premières pensées vont à ma mère, qui aurait aimé être invitée ici, peindre… oui peindre, car autrement, où vont les images ? Cet ange, c’est ma mère, c’est certain, qui me dit bonjour, de là où elle est, qui me dit de profiter de la vie… Aujourd’hui, je vais en profiter ici, dans cette ville où l’on entend toutes les langues, dans cette Fondation, cette résidence imaginée par Nathalie Guiot, dirigée par Julien Amicel, avec le silence, un parfum de bois dans la résidence, un ciel de printemps. Et la poésie. Merci.